jeudi 19 février 2015

transition énergétique : les actions

Il y a quelques années, un célèbre cabinet de conseils a publié une étude chiffrant le coût marginal (en dollars américains) et le gain écologique (en tonnes de CO2 évitées par an) de différentes actions permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis d'Amérique.
Cette étude intitulée "Reducing U.S. greenhouse gas emissions : how much at what cost ?" envisage 3 scenarii plus ou moins ambitieux de réduction des émissions à horizon 2030. Les agences gouvernementales américaines prévoient une hausse des émissions de 35% entre 2005 et 2030. Les 3 scenarii de l'étude permettrait d'éviter respectivement 13%, 31% ou 46% des émissions de 2030.
L'élément le plus intéressant de l'étude est résumé par cette courbe nommée "abatement curve":
Quelques indications pour lire ce graphique :

La bonne nouvelle c'est que presque 40% des émissions de CO2 évitées le sont pour un coût marginal négatif, c'est à dire que sur leur cycle de vie, ils donnent un retour sur investissement positif. Mais alors pourquoi tout le monde ne les appliquent-ils pas? il s'agit principalement de mesures d'efficacité énergétique, méconnues ou peu soutenues par les politiques publiques, ou encore mal réparties entre le propriétaire devant faire l'investissement et le locataire profitant des économies d'énergie.
Parmi ces mesures, l'état pourrait encadrer par des normes l'amélioration de l'efficacité énergétique pour l'éclairage (imposer l'utilisation de LEDs et de systèmes d'extinction automatique), pour les équipements électriques (réduire les consommations en veille), pour le chauffage (encourager la cogénération chaleur/électricité pour les bâtiments collectifs, améliorer l'isolation thermique des bâtiments neufs et anciens).
Les actions les plus à droite sur le graphique sont les plus coûteuses (mise en œuvre et coût d'utilisation) donc requérant un vrai effort de financement collectif : parmi celles-ci, l'hybridation du parc de véhicules.

Vues d'avion (solaire ou à pédales, naturellement) les pistes de réduction d'émissions de gaz à effet de serre se répartissent dans 5 groupes:
  1. amélioration de l'efficacité énergétique des bâtiments et des appareils électriques,
  2. amélioration de efficacité énergétique des transports : allègement des véhicules et amélioration des rendements ; développement de transports alternatifs,
  3. des mesures ciblées pour le secteur industriel,
  4. développement de puits de carbone, par la reforestation et la gestion responsable des forêts,
  5. réduction de l'intensité carbone de la production d'électricité, notamment en développant l'éolien et le solaire, la cogénération et le biogaz.

Le même type d'étude au niveau mondial et non américain modifie le poids relatif de certaines actions, et fait apparaître des actions liées à l'alimentation animale ou l'arrêt de la déforestation :

Au niveau européen, un signal clair pour encourager la consommation responsable d'énergie serait d'établir une tarification progressive de l'électricité et du gaz pour les particuliers, les limites de progression des tarifs dépendant de la composition familiale.
Un environnement favorable aux investissements permettant d'éviter des émissions de gaz à effet de serre est d'organiser la transition des taxes carbone implicite de chacun des pays européens vers une taxe carbone européenne harmonisée dont le taux augmenterait chaque mois.

gaz à effet de serre

qui sont -ils?
le poids du CO2 :

et les poids respectifs des secteurs et des pays :

jeudi 5 février 2015

transition énergétique : le financement

Un grand intérêt de l'ouvrage cité précédemment est qu'il chiffre l'effort financier nécessaire à la transition énergétique, et la faisabilité de la financer.

En 2013, la synthèse des travaux du débat national sur la transition énergétique de la France estimait le besoin d’investissement cumulé  d’ici à 2050 à environ 2000 milliards d’euros (incluant les investissements dits « fatals », qui seraient réalisés de toute façon), quels que soient les choix techniques. Les 4 scénarii envisagés montraient une nette réduction du déficit énergétique extérieur, et ce dès 2020, avec une réduction cumulée d’ici à 2050 allant jusqu’à 3000 milliards  d’euros. Tous ces scénarii remboursaient les investissements par la réduction du déficit énergétique extérieur, avec un gain net cumulé d’ici à 2050 de l’ordre de 1000 milliards d’euros en cas de prix du pétrole haut, et de l’ordre de 300 milliards d’euros en cas de prix du pétrole bas.

A l'échelle française, Philippe Murer chiffre son plan à 1573 milliards d'euros d'investissements sur 20 ans, soit 80 milliards d'euros par an (pour comparaison, la facture énergétique de la France a atteint 79 milliards d'euros en 2012). Le même auteur estime à 182 milliards d'euros 2010 l'investissement des années 50 pour le développement du nucléaire français, auxquels s'ajoutent 12 milliards d'euros par an de coût de fonctionnement des centrales.
Pour garder un ordre de grandeur, lors des plans de sauvetage des banques de fin 2008, France, Allemagne et Grande-Bretagne ont garanti les opérations des banques pour un montant supérieur à 1000 milliards d'euros, et re-capitalisé les banques pour plus de 180 milliards d'euros.


Afin de réaliser ce programme, Philippe Murer considère que le financement ne peut être que public, avis que je partage au vu des montants engagés et de l'horizon d'investissement. Les projets solaires, éoliens, d'isolation, de production de biogaz ou développement de la filière hydrogène, seraient financés avec de l'argent créé par la Banque Centrale à un taux d'intérêt de 1.5%. Je suis convaincu que nous devons reprendre le contrôle de notre création monétaire et l'orienter vers des projets stratégiques décidés démocratiquement, et pas uniquement celui de contenir l'inflation. Cela pourrait faire l'objet d'un vrai Plan  européen  Énergie Climat  Pouvoir  d’achat.

Philippe Murer considère que son plan n'est viable qu'à la condition de re-nationaliser EDF, afin de gérer le risque que constituent les installations nucléaires et d'éviter qu'un groupe privé ne se constitue une situation de rente de revente d'énergie. La gestion du risque est effectivement un sujet à part entière mais s'applique plus aux centrales nucléaires existantes qu'aux futures installations. Pour la mise en œuvre de nouvelles infrastructures de production électriques, solaire et éoliennes, de production de biogaz ou d'hydrogène, des groupes privés me paraissent légitimes pour le financement préférentiel dans le cadre du plan de transition.

Enfin, pour éviter que les 1600 milliards d'euros injectés pour le plan de transition ne créé des emplois qu'à l'étranger, Philippe Murer propose l'instauration de tarifs douaniers d'environ 20%. C'est effectivement une mesure que l'on pourrait ajouter à mes propositions.

Par contre l'auteur propose de désobéir aux règles (voire de sortir) de l'Union Européenne pour mettre en œuvre son plan de transition, ce qui ne me parait pas souhaitable : j'y reviendrai.

transition énergétique : les scenarii

De nombreux scenarii de transition sont possibles. Lors du débat national de 2013 sur la transition énergétique française, 4 trajectoires avaient été envisagées :
2 autres façons de les représenter :

Philippe Murer propose un plan de transition permettant de sortir des énergies fossiles (mais pas du nucléaire) d'ici 20 ans. Quantitativement, son scenario se situe entre les scenarii SOB et EFF du débat national français de 2013 : 137Mtep d'énergie primaire en 2035.

Le plan de Philippe Murer repose sur le schéma suivant :
  • isolation des logements existants et installation de pompes à chaleur, et généralisation du chauffage au bois et biogaz, avec appoint électrique,
  • développement massif des capacités de production solaire et éolien,
  • développement d'une filière de stockage d'énergie électrique sous forme d'hydrogène, à destination des transports en particulier.
D'après ses calculs, le coût de revient du kWh éolien est déjà inférieur à celui du nucléaire (tenant compte de l'amortissement de l'investissement initial et du coût du démantèlement), et celui du kWh solaire produit sur de grandes surfaces le sera d'ici quelques années.
Une vue d'ensemble du plan développé dans le livre :
Technologiquement et économiquement, le plan tient la route.
Ce scénario développe l'utilisation de l'hydrogène pour les transports, piste non évoquée parmi les scenarii du débat national sur la transition énergétique française. Jeremy Rifkin l'évoquait, mais dans un scenario de production d'énergie décentralisée là où Philippe Murer privilégie la centralisation. La troisième révolution industrielle popularisée par Rifkin repose sur les 5 piliers suivants : 

Concernant les usages pour mobilité, l'association négaWatt envisage plutôt des transports alimentés en électricité et en gaz (gaz naturel, biogaz et gaz de synthèse), et l'utilisation de méthane comme stockage-tampon d'énergie :
(à noter que la méthanation a un rendement compris entre 50 et 65%)

mardi 3 février 2015

transition énergétique : les données d'entrée

Je termine l'intéressant petit livre de Philippe Murer, qui relance mes réflexions :
La nécessité de la transition énergétique est de plus en plus partagée, fondée sur les risques suivants :
  • la consommation de combustibles fossiles est en train de provoquer un déséquilibre climatique d'une ampleur et d'une rapidité jamais vus, mettant en danger la vie sur Terre,
  • la finitude des ressources fossiles va nous faire entrer dans une ère de rareté et de chèreté de l'énergie, bouleversant l'organisation des activités humaines.
Le socle de connaissances publié pour lancer le débat français sur la transition énergétique donne un certain nombre d'éléments sur les usages de consommation d'énergie fossile et sur les sources d'émission de gaz à effet de serre. Une vision plus mondiale est celle du GIEC :
Quelques autres rappels sur les gaz à effet de serre ici.

Comme l'écrit Transition France, les solutions à trouver devront à la fois tenir compte de l’impératif de réduction drastique des émissions de CO2 et de la fin prochaine du pétrole abondant et à bon marché. Faire cette transition va coûter à nos pays, bien évidemment, mais agir contre les changements climatiques coûtera 15 à 20 fois moins cher que l’inaction, comme l’a évalué dès 2006 l’ancien chef économiste et vice-président de la Banque Mondiale Sir Nicholas Stern.

La transition énergétique devra donc permettre de tenter d'éviter de rendre la Terre invivable et de limiter les effets d'un choc civilisationnel. En outre, cela allègerait la facture toujours plus lourde de nos importations d'énergie.