J’ai
lu récemment un long article de Serge Paugam dont je reprends ci-dessous de
longues citations. Raymond Aron, dans Les
désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité,
paru en 1969, retient 3 contradictions fondamentales de notre modernité et de son
lien au progrès, menant à des désillusions. Il est étonnant de constater que
ces 3 contradictions se superposent aux 3 termes de la devise
républicaine : notre modernité et son culte du progrès génère une tension
autour de ces 3 idéaux.
L’égalité
L’égalité
politique est le fondement du lien de citoyenneté, mais les inégalités dans le
monde du travail sont en grande partie fonctionnelles. L’écart entre
l’énonciation politique du principe d’égalité et la persistance d’inégalités
économiques et sociales jugées injustes est à l’origine de nombreuses
frustrations. Chaque individu est appelé à considérer ses compatriotes et, de
façon plus générale, l’ensemble des hommes comme des égaux en droits, mais à
rechercher en même temps à tirer le meilleur profit de ses propres capacités et
compétences en se distinguant des autres, en poussant le plus loin possible la
logique de la distinction statutaire. L’ambition prométhéenne et l’idéal
égalitaire sont difficilement compatibles.
La
liberté : dialectique de socialisation
Les
sociétés modernes valorisent en même temps la transmission dans le cadre d’institutions
dédiées, et l’autonomie des sujets. Dès 1893, Durkheim s’interrogeait sur cette
simultanéité : « Comment se fait-il que, tout en devenant plus
autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société. » Le
fonctionnement de l’économie moderne implique des formes de complémentarité
entre les individus et les groupes et, par là-même, des formes nouvelles de
dépendance à l’égard des institutions globales qui régulent la société. Cette
dépendance peut être jugée excessive. Elle peut contraindre les individus en
leur assignant des fonctions déterminées parfois mal ajustées à leurs
compétences ou à leurs désirs jusqu’à étouffer leur aspiration à la liberté. Un
ordre social cohérent et stable se heurte à la méfiance à l’égard des
institutions trop envahissantes, entretient de façon presque mécanique le refus
d’obéir, de se soumettre, et favorise la dénonciation de toutes les formes
possibles d’aliénation.
La
fraternité : dialectique de l’universalité
Le progrès
scientifique, l’usage de techniques de production et de commercialisation
toujours plus raffinées, l’homogénéisation progressive des modes de
consommation et de communication conduisent inexorablement vers un monde
globalisé, au moins virtuellement universel. Les peuples peuvent-ils
s’opposer à cette évolution sans risquer de se marginaliser, voire de
disparaître ? Et pourtant, les particularismes de toutes sortes –
nationaux, régionaux, ethniques, religieux – ne cessent de se proclamer un peu
partout dans le monde. Tout se passe comme si cette recherche identitaire
fondée sur les traditions culturelles servait de contrepoint existentiel au
mouvement de mondialisation et se traduisait dans les faits par des tensions et
des conflits locaux.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire