samedi 19 novembre 2016

progrès et triptyque républicain

J’ai lu récemment un long article de Serge Paugam dont je reprends ci-dessous de longues citations. Raymond Aron, dans Les désillusions du progrès. Essai sur la dialectique de la modernité, paru en 1969, retient 3 contradictions fondamentales de notre modernité et de son lien au progrès, menant à des désillusions. Il est étonnant de constater que ces 3 contradictions se superposent aux 3 termes de la devise républicaine : notre modernité et son culte du progrès génère une tension autour de ces 3 idéaux.


Frank Shepard

L’égalité
L’égalité politique est le fondement du lien de citoyenneté, mais les inégalités dans le monde du travail sont en grande partie fonctionnelles. L’écart entre l’énonciation politique du principe d’égalité et la persistance d’inégalités économiques et sociales jugées injustes est à l’origine de nombreuses frustrations. Chaque individu est appelé à considérer ses compatriotes et, de façon plus générale, l’ensemble des hommes comme des égaux en droits, mais à rechercher en même temps à tirer le meilleur profit de ses propres capacités et compétences en se distinguant des autres, en poussant le plus loin possible la logique de la distinction statutaire. L’ambition prométhéenne et l’idéal égalitaire sont difficilement compatibles.

La liberté : dialectique de socialisation
Les sociétés modernes valorisent en même temps la transmission dans le cadre d’institutions dédiées, et l’autonomie des sujets. Dès 1893, Durkheim s’interrogeait sur cette simultanéité : « Comment se fait-il que, tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société. » Le fonctionnement de l’économie moderne implique des formes de complémentarité entre les individus et les groupes et, par là-même, des formes nouvelles de dépendance à l’égard des institutions globales qui régulent la société. Cette dépendance peut être jugée excessive. Elle peut contraindre les individus en leur assignant des fonctions déterminées parfois mal ajustées à leurs compétences ou à leurs désirs jusqu’à étouffer leur aspiration à la liberté. Un ordre social cohérent et stable se heurte à la méfiance à l’égard des institutions trop envahissantes, entretient de façon presque mécanique le refus d’obéir, de se soumettre, et favorise la dénonciation de toutes les formes possibles d’aliénation.

La fraternité : dialectique de l’universalité
Le progrès scientifique, l’usage de techniques de production et de commercialisation toujours plus raffinées, l’homogénéisation progressive des modes de consommation et de communication conduisent inexorablement vers un monde globalisé, au moins virtuellement universel. Les peuples peuvent-ils s’opposer à cette évolution sans risquer de se marginaliser, voire de disparaître ? Et pourtant, les particularismes de toutes sortes – nationaux, régionaux, ethniques, religieux – ne cessent de se proclamer un peu partout dans le monde. Tout se passe comme si cette recherche identitaire fondée sur les traditions culturelles servait de contrepoint existentiel au mouvement de mondialisation et se traduisait dans les faits par des tensions et des conflits locaux.

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