Le PIB est depuis longtemps critiqué, notamment car il ne comptabilise que la valeur totale de la production de richesses sans tenir compte de la consommation de ressources naturelles (renouvelables ou non, mises à disposition gratuitement par la nature), ni les impacts négatifs comme la pollution, ni les activités non marchandes. Il ne mesure que le flux de production, et non un stock de capital ou de dettes. Jean-Marc Jancovici en fait ici un bon exposé pédagogique, résumé par ce petit schéma :
où W est le travail et K le capital.
Le PIB mondial augmente,
les PIB par habitant de la plupart des pays également, mais en quoi cela représente-t-il un progrès?
Dès 1968, Robert F. Kennedy disait "En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la
vie vaut la peine d’être vécue".
Pour Dominique Méda, le PIB présente trois grandes limites :
* il ne tient pas compte de temps et d'activités essentielles pour le développement de la société comme le temps avec les proches, le temps pour les activités politiques, le temps domestique ;
* il n'est pas affecté par les inégalités dans la participation à la production ou à la consommation ;
* il ne tient pas compte des dégradations apportées au patrimoine naturel.
Un indicateur doit servir à se fixer des objectifs (indicateur de cap : on cherchera par exemple à le maximiser) ou à alerter pour anticiper les difficultés (indicateur d'alerte : s'il dépasse un certain seuil, on doit prendre des actions rapidement). De par sa construction, le PIB n'est pas un indicateur d'alerte, et chercher à le maximiser n'est pas bénéfique pour nos sociétés sur le long terme.
Dans un premier temps, le PIB pouvait être un indicateur de cap défendable :
Une étude publiée en 2001 par l'université de Princeton a montré que jusqu'à un certain seuil (environ 15 000 dollars par an et par personne), l'augmentation du PIB par habitant est fortement corrélée à l'augmentation du bien-être de la population. Au delà de ce seuil, le PIB par habitant n'est pas un bon indicateur, car son augmentation n'est plus corrélée à l'augmentation du bien-être de la population. Ce seuil à été franchi en 1964 pour les Etats-Unis d'Amérique, et en 1978 pour la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni :
Une cartographie bonheur/PIB montre qu'au delà d'un PIB de 7000$/habitant en parité de pouvoir d'achat (dollars de 1995), les populations sont à peu près aussi heureuses quel que soit leur PIB par habitant :
On retrouve le même type de seuil quand on regarde le niveau d'éducation ou l'espérance de vie. Il s'agit du paradoxe d'Easterlin : "le paradoxe bonheur/revenu est l’étonnant constat
que, sur le long terme (10 ans ou plus), le bonheur de
la population n’augmente pas lorsque le revenu d’un
pays augmente". Wikipedia en fait un énoncé plus prudent : "une hausse du PIB ne se traduit pas nécessairement par une hausse du niveau de bien-être ressenti par les individus".
Alors quel indicateur choisir pour remplacer le PIB??
Indicateur de cap :
Si l'on souhaite conserver un indicateur d'activité économique, il faut passer d'un indicateur de flux (l'actuel PIB) à un indicateur de résultat net, c'est-à-dire comptabilisant en positif les ressources (non consommés) et les biens présents (créés et pas encore usagés), et en passif la pollution. Ainsi, une production importante de biens non durables par un consommation de ressources à une vitesse plus rapide que leur renouvellement, représentera une baisse du résultat net. Le PIB "vert", correction du produit intérieur brut en fonction des coûts environnementaux (consommation de ressources naturelles, pollution), s'apparente à cela, mais ces coûts environnementaux sont difficilement chiffrables.
Cet indicateur principal peut également être moins centré sur l'économie, comme les 2 indices composites suivants :
* Indice de Développement Humain, qu'il serait bon corriger par un indice des libertés publiques,
* Indice du Bonheur Mondial.
L'inconvénient de ne retenir qu'un seul indicateur, même composite, c'est de passer à côté d'enjeux essentiels. En cherchant à maximiser le seul IDH par exemple, on risque de suivre l'exemple de pays dont l'empreinte écologique nous mène à la catastrophe :
Indicateur(s) d'alerte :
quelques idées en vrac :
* part de la population vivant sous le seuil de pauvreté,
* émissions de CO2 par personne,
* taux de chômage,
* coefficient de Gini du patrimoine,
...
Quelques éléments de réflexion glanés dans l'excellent rapport de la Fabrique Spinoza "les indicateurs complémentaires au PIB - état des lieux et chemins de progrès", éléments que je reprend à mon compte :
1) Les limites du PIB :
* Le PIB n’est pas corrigé des externalités négatives.
* Le PIB ne mesure pas la création de richesse bénévole.
* Le PIB mesure la production nationale plutôt que de se centrer sur les ménages.
* Le PIB mesure les flux, mais ignore l’épargne, l’investissement et la préservation du patrimoine.
* Le PIB est insensible à l’accroissement des inégalités.
* Le PIB ne prend pas en compte la durabilité de la création de richesses.
* Sur le plan idéologique, la chute du taux de croissance du PIB alimente un imaginaire de désespoir pour notre avenir.
* enfin, la croissance du PIB n'est pas totalement corrélée avec l'amélioration de la "satisfaction de vie".
2) trois chemins pour la construction et l’utilisation de nouveaux indicateurs de richesses :
* "réparer le PIB", sans véritable changement idéologique (c'est la piste du "PIB vert"),
* une approche "GDP plus", en adjoignant d’autres dimensions (environnement, lien social, etc.) au classique PIB (par exemple PIB/habitant x coefficient de Gini de la répartition du patrimoine),
* création d’indicateurs ex nihilo, sans considération du PIB.
Un exemple intéressant : Happy Planet Index = (espérance de vie x indice de satisfaction de la vie) / empreinte écologique.
ou encore l’Indice de Développement Humain, basé sur le revenu national brut par habitant, l’espérance de vie et le niveau d’instruction d’un pays.
etc...
3) Quels rôles possibles pour les indicateurs ?
* fonction d’alerte,
* fonction d’aide à la prise de décision,
* fonction d’évaluation des politiques,
* fonction de communication,
* fonction de transformation sociétale.
Autre contribution:
l'Indicateur de Progrès Qualitatif, proposé par Jean-Marie Harribey, constitué de 4 indicateurs partiels : un indicateur culturel, un indicateur environnemental, un indicateur d'activité, un indicateur de cohésion sociale.
D'autres y reflechissent aussi :
RépondreSupprimerhttp://www.fabriquespinoza.org/wp-content/uploads/2012/11/Fabrique_Spinoza_-_Etude_et_propositions_pour_de_nouveaux_indicateurs_-_oct_2012.pdf
La croissance du PIB mondial : à ce jour, un excellent indicateur de la destruction de la planète
RépondreSupprimerLa quête du Graal : l’indicateur du bien-être durable
http://alaingrandjean.fr/2012/06/08/la-croissance-verte-oxymore-ou-voie-royale-vers-lavenir-radieux-de-lhumanite/#_ftn3
http://geoclic.net/site/impact-environnemental-economique-social-actions-comptabilites-nationales-completer-pib.php
RépondreSupprimermais encore :
RépondreSupprimerhttp://www.idies.org/index.php?category/FAIR
The Shift Project :
RépondreSupprimerLe PIB est porteur d’une volonté de croissance qui n’anticipe pas les effets de seuil liés à la rareté des ressources.
L’immense majorité des acteurs économiques n’ont aucun usage concret du PIB.
Débattre et proposer des alternatives au PIB, par usage, constitue une démarche pragmatique pour limiter son influence excessive dans le pilotage de nos sociétés.
http://theshiftproject.org/sites/default/files/files/resume_decideurs_usages_pib_fr_bd.pdf